Ces petits riens presque parfaits

Publié le par Franck Cellier

louisville-005.JPGOu comment les banalités de la vie américaine réservent parfois de bonnes surprises.

Parlons juste des détails. Ces petits riens qui font que la journée va foirer ou qu'elle va tutoyer la perfection. Les USA et ceux qui les peuplent sont si imprévisibles que la seule chose dont on soit sûr c'est que, justement, tout peu arriver. Manger, rien que manger, est une aventure. N'écrivent-ils pas sur les photos de leurs hamburgers l'énigmatique précision: "vrais ingrédients"? Bon sang, mais que faut-il comprendre lorsque que ce n'est pas écrit "vrais ingrédients"? Si les Américains se disent si attachés à leur sécurité, c'est justement parce que l'insécurité est partout. Elle est financière, alimentaire, internationale, immobilière, et on peut rajouter autant de qualitatifs qu'on veut, la liste ne sera jamais close.
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Mais revenons aux détails de ce petit voyage de deux jours d'Indianapolis à Louisville, la capitale du chevalin Etat voisin, le Kentucky. Après deux heures sur l'Interstate 65, il fallait bien à la fois remplir le réservoir de la voiture et le ventre des ses occupants. La ville s'appelle Scottsburg. En fait de ville, ce n'est comme presque toujours qu'une vague zone commerciale remplie de pompes automatiques à essence et de quelques repaires de restauration rapide. Sur l'échelle des risques, on grimpe avec appréhension dans la zone critique, prêt à recevoir une tuile sur la figure.
La pompe accepte sans rechigner ma carte Visa de la Réunion. C'est le genre de premier signe indien qui permet d'envisager la suite des événements avec optimisme.  Combien de fois ai-je dû aller, penaud et laborieusement, traiter la transaction en liquide et en patois, avec un pompiste peu enclin à prendre des leçons de français? En plus, le gallon d'essence est passé sous la barre de 3,20 dollars en cette rase campagne. Une promo comme je n'en avais pas vu depuis plusieurs semaines.
J'ai déjà oublié le nom un peu pompeux du resto routier. Je me souviens par contre qu'il était rempli de clients joyeux. Si ce n'est pas totalement une garantie de qualité, c'est déjà un premier indice. Pensez par exemple aux ridicules faux petits châteaux de la chaîne White Castle. Ils sont toujours vides. N'y allez surtout pas. Les seuls clients de ces immondes marchands de "faux ingrédients" sont les curieux bien vite punis d'ailleurs de leur mauvaise habitude. C'en est à se demander si les bourreaux de l'époque des chevaliers réservaient des châtiments plus cruels à leurs proies que les choses qui sont servies dans ces misérables lieux.
En tout cas, mon restaurant au nom oublié de Scottsburg servait le client comme on sert un roi. A volonté jusqu'à plus faim. Sans finesse mais cent pour cent "vrai". De la nourriture de paysan.
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Après l'essence et le repas, ne manquait que le troisième détail qui devait satisfaire le voyageur: son lit. La crise qui rend le pays si morose a au moins l'avantage d'obliger les hôteliers à pratiquer des promotions à peine croyables pour remplir leurs chambres. Le Brownsboro Inn a donc cassé ses prix en deux, sans doute parce qu'il n'arrive plus à tenir son standing. L'accueil étincelle encore mais l'arrière-boutique se défraîchit au rythme des désaffections. Profitez en vite avant que la boutique ne parte en fumée suite à un court-circuit dans l'installation électrique. Dans pas longtemps le "Inn" redeviendra un banal motel tout juste utilitaire. Mais grâce à quelques bouts de ficelles, on peut encore se faire bouillonner la musculature dans le spa-jacuzzi, on peut encore mater une soixantaine de chaînes du câble et visiter ainsi l'Amérique télévisuelle d'aujourd'hui entre un match de boxe et une pub pour un déambulateur, sans saisir complètement le lien entre les deux.
Voilà résumé en trois détails, la parfaite Amérique de ce week-end qui devait ouvrir le printemps. L'Ohio inondait les quais de Louisville. Une neige pourrie tombait par intermittence sur un centre-ville presque désert. Mais il y avait de l'essence facile, de la "vraie" bouffe à volonté, des bulles lumineuses dans le spa. Et pour pas cher.
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Publié dans Société

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